Il y a clairement une décorrélation entre l’évolution des bourses et la réalité économique, …
Rien ne va être réglé avec le déconfinement
Il y a clairement une décorrélation entre l’évolution des bourses et la réalité économique, qui ressort des indicateurs, et alors qu’il devient évident que la reprise sera plus lente que prévu.
Chômage aux Etats-Unis
Et à propos de réalité économique, les chiffres du chômage aux Etats-Unis en font bien évidemment partie et seront d’une ampleur inédite, et il est déjà acquis que le retour à la normale prendra du temps.
Après le chiffre publié par ADP mercredi et celui des inscriptions hebdomadaires au chômage hier , qui a encore été de 3.169.000, il ne fait aucun doute que le chiffre des destructions d’emploi sera monstrueux. Alors qu’au mois de mars, l’économie américaine avait détruit 701.000 emplois, en avril, elle devrait en avoir détruit, même de façon provisoire, 22 millions. Soit un taux de chômage qui passerait de 4.4% à une fourchette entre 16% et 22%. Ce qui est un chiffre qui n’a jamais été vu depuis la seconde guerre mondiale.
Si les bourses semblent ignorer cette réalité, en revanche, le marché obligataire semble plus réaliste et les taux aux Etats-Unis ont reculé avec un rendement du treasury 2 ans qui est tombé à un niveau inédit (voir graphique). La crainte d’une reprise plus lente que prévu a même entrainé des anticipations de voir les taux de la FED passer en territoire négatif à la fin de cette année, même si ce scénario semble peu probable vu le contre-effet que l’on a pu observer des épisodes de taux négatifs dans d’autres pays.
La réaction des bourses est liée à l’espoir engendré par le déconfinement un peu partout à travers le monde et par l’annonce d’un contact téléphonique de haut niveau entre le vice-premier chinois Liu et le secrétaire au Trésor Mnuchin, sur l’implémentation de la Phase I de l’accord entre les Etats-Unis et la Chine.
Le Japon n’échappe pas à la récession
Le chiffre du PIB sera publié le 18 mai, mais selon les estimations la chute pourrait être de 4.5% au premier trimestre, ce qui n’est rien par rapport aux estimations pour le second trimestre qui devrait voir le PIB reculer de 22%. En sachant en plus que la période de confinement a été étendue jusque fin mai.
Deux indicateurs sont venus renforcer ces craintes, le recul de 6% des dépenses de consommation au mois de mars, et une chute historique de l’indice PMI des services (voir graphique).
BOE prête à encore agir
Si la BOE a laissé ses taux inchangés et son programme de rachats d’actifs à 645 milliards de sterlings, elle a clairement laissé entendre qu’elle pourrait encore augmenter la taille de ce dernier.
Il faut dire que pour la période d’avril-juin, elle s’attend à une chute du PIB de 25% et d’un doublement du chômage à 9%.
Son scenario actuel est de voir l’économie chuter de 14% en 2020 pour fortement rebondir de 15% en 2021. Ce scénario semble cependant de plus en plus irréaliste, d’une part parce que la Grande-Bretagne n’a pas encore entamé sa phase de déconfinement, et d’autre part, parce qu’il apparait clairement que le rebond de l’activité partout dans le monde se fait plus lentement que prévu.
A propos de banque centrale, la banque centrale de Norvège a baissé de 0.25% son taux pour le ramener à 0%. Cette décision surprise n’a cependant pas affecté la devise, qui s’est même renforcée (voir graphique) suite à la reprise du prix du baril.
Chute de la production en Allemagne
La chute a encore été pire qu’attendu avec un recul de 9.2%, soit le plus fort recul jamais enregistré depuis 1991, début de cet indice. Le secteur automobile, qui emploie 800.000 personnes a connu une contraction de 31.1% de sa production en mars.
Cette chute est bien évidemment la conséquence de la période de confinement en Allemagne, mais également d’un recul de la demande émanant des pays européens et des Etats-Unis.
Attention à la fragilité de certains pays émergents
Certains pays émergents sont confrontés à la chute de leur devise alors qu’une partie de leur endettement est en dollar et alors que le Trésor américain va capter une grande partie des flux pour financer le programme du gouvernement américian.
En plus, ces pays prennent de plein fouet le ralentissement du commerce mondial et ont dû aussi mettre en confinement leur population ce qui a fait chuter la demande intérieure.
Un cas symptomatique, mais ce n’est hélas pas le seul, est la Turquie. Comme le montre le graphique, la livre turque continue de s’affaiblir. Si la chute du prix du baril a évité la hausse de l’inflation, l’économie turque devrait connaitre une nouvelle récession, la deuxième en moins de deux ans. D’autant plus qu’elle est très dépendante du tourisme qui ne devrait pas repartir de sitôt.
A côté de cela, la Turquie va devoir refinancer dans les 12 prochains mois environ 168 milliards de dollars de dette, soit 24% du PIB. Ce refinancement doit se faire dans un contexte de chute de la devise et surtout en sachant que ses réserves de change ne s’élèvent qu’à 85 milliards de dollars, soit un ratio les plus faibles des pays émergents. Cela explique pourquoi le taux de défaut (voir graphique) est reparti à la hausse et dépasse le niveau de 2018.
Et la Turquie n’est pas une exception et d’autres pays sont confrontés à la même situation et pourraient connaitre de sérieuses difficultés de financement.
Réflexion à la veille du déconfinement
Même si nous savons tous que ce déconfinement n’est que partiel, peut-être provisoire, et qu’il faudra apprendre à vivre avec ce virus encore longtemps, il ne faudra pas oublier ceux qu’on a laissé sur le bord du chemin et qui ne connaitront pas le déconfinement, tout en prenant conscience de chaque moment d’après.
Et je voudrais reprendre pour cela une chronique de Kamel Daoud d’octobre 2013 intitulée « Réflexions sur la mort d’un voisin ».
« Hier, un vieux voisin est mort. J’ai discuté avec lui un jour avant. On a parlé du monde et de notre vieille rue. On les partageait. Puis, deux jours après, il est mort parce que son cœur s’est arrêté. Ce fut invraisemblable : il y a entre la mort et la vie un manque de mesure juste, de proportions. L’une à la taille du cosmique, la seconde a le volume d’une petite et dernière expiration. Il y a quelque chose qui ne colle pas. Après, j’ai longtemps réfléchi. Je me suis dit que cet homme ne savait pas qu’hier serait son dernier jour. Le monde était « plein », durait depuis si longtemps que l’on s’y oubliait, le vieux voisin avait des milliers de vies devant lui et il cédait comme moi à l’insignifiance et à l’insouciance et au soliloque fondamental qui est l’illusion de toute vie sur elle-même. Je ne savais pas comment le dire mais cette certitude du vieux voisin « qui ne savait pas » est aussi la mienne. Mon monde est atteint par la même éternité et la même brièveté et le même aveuglement. Je veux dire qu’à chaque instant je suis aussi idiot que ce mort et je peux être aussi surpris que lui. La même possibilité d’interruption est derrière chaque souffle. Je vois le monde et je fais le constat de sa monstruosité : il va continuer sans moi. (…) Je pense depuis quatre jours à ce vieux voisin parce que ce fut invraisemblable. Il a éclairé mon univers par sa disparition, parce qu’elle était un simple trébuchement. C’est difficile à comprendre mais je jure qu’il est mort à ma place, et je mourrai à la place des autres, et ainsi de suite.
Ce n’est pas une angoisse religieuse. L’au-delà est en soi et selon les peurs de chacun. Je parle d’un sursaut. Je n’en suis que plus passionné par ma vie. Je veux juste parler d’une sourde envie ténue de la corriger, pour que la mort n’y soit pas un tapis qu’on me retire de sous le pied. Je veux ma vie pleine, défendue, je ne la donnerai à personne et à aucune croyance, je ne l’échangerai pas contre la foi et j’en défendrai la liberté parce que je suis le seul à en payer le ravissement à la fin.
Je veux dire que j’étais étonné par la fragilité du monde, sa consistance, tout à la fois plein, lourd et obtus et constant, et en même temps son épuisement sans fin, sa gratuité. Le vieux voisin est mort alors qu’il avait l’éternité devant lui. Me comprends-tu ? Je tourne donc plus souvent le cou pour regarder derrière moi, je fouille le jour avec soupçon, je surveille mes frontières mouvantes parce que je sais qu’il y a tout le temps une brèche dans la pierre du monde. Une fêlure qui à la fois lui donne toute sa valeur et se moque de tout l’or qu’il peut contenir et offrir ou ravir. Ce que je veux dire c’est que le vieux voisin était un idiot, il n’avait pas saisi qu’il ne lui restait qu’un seul jour quand il me parlait. Je ne veux pas être aussi idiot, j’en suis angoissé. Je veux mourir en regardant la mort pas en la subissant, je veux la comprendre et y glisser avec mon corps et pas être capturé comme un animal par le croc. (…)
La seule possibilité de ne pas être surpris par la mort est de la surprendre à chaque moment par une vie intense et plus consciente, assumant la peur mais aussi la dignité. Le voisin est mort bêtement, je ne le veux pas. Je vivrai donc intensément, aux aguets de chaque instant, échangeant chaque seconde au plus haut de son prix. De chasseur, la mort deviendra mon éclaireur, portant la lampe au-devant, déterrant la terre entière sous mon pas. »