Dans le monde d’aujourd’hui, le “chaos” et “l’ordre” ont un impact croissant sur les entreprises. Bien que le chaos soit une constante, il prend aujourd’hui une ampleur plus globale et multidimensionnelle, avec de nombreux changements rapides économiques et non économiques (par exemple, crises successives, avancées technologiques, changement climatique…).
Seuls les agiles survivent dans une économie chaotique
Dans le monde d’aujourd’hui, le “chaos” et “l’ordre” ont un impact croissant sur les entreprises. Bien que le chaos soit une constante, il prend aujourd’hui une ampleur plus globale et multidimensionnelle, avec de nombreux changements rapides économiques et non économiques (par exemple, crises successives, avancées technologiques, changement climatique…). Il en résulte un environnement turbulent et risqué, ce qui incite les gouvernements à renforcer le contrôle et l’ordre en introduisant de nouvelles réglementations et de nouvelles supervisions. La montée en puissance de l’économie dite “chaordique” exigera des entreprises qu’elles deviennent de plus en plus agiles et adaptables.
Lorsqu’on interroge les économistes sur la prochaine crise grave, ils évoqueront très probablement (1) la répétition d’événements qui se sont déjà produits dans le passé (par exemple, l’éclatement d’une bulle d’actifs dans une grande économie, le développement insoutenable de la dette publique/privée, la faillite d’une grande banque, un choc pétrolier dû à des tensions géopolitiques… ), ou (2) une escalade/aggravation d’événements qui se sont produits très récemment ou qui se produisent en ce moment même (par exemple, la propagation de nouveaux variants du coronavirus, une résurgence de la guerre commerciale mondiale, un regain d’inquiétude quant à la stabilité/durabilité de l’UEM, un autre pays suivant le Royaume-Uni hors de l’UE, des conditions météorologiques extrêmes suite au changement climatique…). Les faits et les événements étant encore frais dans leur mémoire, la plupart des gens sont convaincus que la prochaine crise sera assez semblable.
Qu’est-ce qui pourrait déclencher la prochaine crise ?
Bien sûr, les exemples mentionnés peuvent effectivement être des facteurs de déclenchement de crise. Le problème est qu’il est très difficile de quantifier la probabilité d’un tel déclenchement. Se baser uniquement sur les événements passés et actuels pour prédire une crise future est également un problème. Cette façon de penser sous-estime les chances que se produise un événement qui ne s’est jamais produit auparavant ou auquel on ne pense pas à ce moment-là. Les événements dits “cygnes noirs” (cf. le livre écrit par Nassim Taleb en 2007) sont des événements extrêmes qui surprennent et ont un impact négatif, voire permanent, sur l’économie et les marchés (par exemple, les attaques terroristes du 11 septembre 2001, le tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est, la crise financière de 2008, la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, la pandémie de 2020-2021). Ce que l’on ne sait pas ou ce à quoi l’on ne pense pas peut s’avérer bien plus important que ce que l’on sait.
Aucun des facteurs (principalement économiques/politiques) souvent mentionnés ci-dessus ne sera probablement le premier candidat à la prochaine crise majeure réelle. Chaque année, le rapport sur les risques mondiaux du Forum économique mondial (WEF) collabore avec des experts et des décideurs du monde entier pour identifier les risques les plus pressants auxquels nous sommes confrontés. Dans l’édition 2021 publiée en janvier de cette année, seul un des dix principaux risques en termes d’impact appartient à la catégorie “économique” (c’est-à-dire les crises de la dette, voir tableau 1). Tous les autres risques majeurs relèvent de la catégorie “sociétale” (comme les crises des moyens de subsistance), “environnementale” (comme l’échec de l’atténuation du changement climatique et de l’adaptation à celui-ci), “géopolitique” (comme une attaque terroriste utilisant des armes de destruction massive) et “technologique” (comme une panne de l’infrastructure informatique). Bien que ces risques soient eux-mêmes de nature non économique, leur impact économique et financier potentiel est très élevé. En outre, contrairement aux risques économiques classiques, l’humanité est beaucoup moins compétente/expérimentée lorsqu’il s’agit de faire face à ce type de risques non économiques à fort impact. Remarquez que le fait que les maladies infectieuses soient la principale préoccupation du rapport du WEF confirme notre point de vue selon lequel les gens aiment regarder en arrière lorsqu’ils pensent aux risques futurs.
C’est un monde VUCA
Certes, ces types d’événements de risque non économiques sont également nombreux (par exemple, fraude/vol de données, crises de l’eau, intensification des migrations à grande échelle…). Dans une large mesure, ils résultent du fait que l’environnement sociétal et économique devient plus VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity). Cet acronyme est entré dans l’usage à la fin des années 1990 pour décrire la nouvelle réalité du monde. Aujourd’hui, le monde semble plus VUCA que jamais, en grande partie à cause de la vitesse croissante à laquelle les choses changent. Plusieurs forces sont à l’origine de cette évolution, qu’il s’agisse de tensions géopolitiques permanentes ou de tendances plus structurelles comme le changement climatique, le vieillissement et l’accélération des progrès technologiques.
VUCA augmente la probabilité et l’impact perturbateur potentiel de crises majeures, comme celles mentionnées dans le rapport sur les risques mondiaux du WEF. Cela implique une augmentation des chances que quelque chose se produise qui ne s’est jamais produit auparavant et qui est complètement en dehors de notre champ de conscience (ce que l’on appelle les inconnus inconnus). En raison de VUCA et de sa nature de plus en plus internationale et non économique, les entreprises individuelles évoluent dans un environnement hautement turbulent et chaotique. Cela a un impact significatif sur leurs opérations quotidiennes et leurs décisions stratégiques à plus long terme. Le chaos VUCA peut même menacer la continuité des entreprises, comme en témoigne la pandémie actuelle.
Agile dans une économie chaotique
Après la crise financière de 2008 et face à des défis tels que le changement climatique et les progrès technologiques, de nouvelles législations, réglementations et supervisions massives ont été mises en œuvre et le seront encore (par exemple, en matière de protection des données et de la vie privée, de normes comptables, de prévention de la fraude, de qualité de l’environnement, de non-discrimination dans l’emploi, etc.) Ces interventions gouvernementales croissantes sont souvent d’une importance capitale pour le bien-être de la société. Elles protègent les personnes et les entreprises contre des éléments nuisibles qu’elles ne peuvent empêcher par elles-mêmes (les restrictions imposées à la suite de la pandémie en sont une bonne illustration). Mais ces interventions se traduisent généralement aussi par une augmentation de la charge de travail et des coûts pour les entreprises. Dans la pratique, les entreprises sont soumises à un ensemble toujours plus grand d’exigences législatives et réglementaires et de procédures de gouvernance et d’administration, ce qui exerce une pression immense sur le personnel pour s’y conformer. Ce mouvement vers le contrôle et l’ordre ajoute en soi à la complexité et alimente donc le monde VUCA.
De plus en plus, les entreprises opèrent donc dans ce que nous pouvons appeler une économie chaordique. Le terme “chaordique” (cha pour chaos et ord pour ordre) – que nous appliquons ici dans un contexte macroéconomique – a été inventé en 1999 par Dee Hock, ancien PDG de VISA. Il est devenu un mot à la mode dans la littérature de gestion, une entreprise chaordique étant définie comme “une entreprise dans laquelle le chaos et l’ordre sont maintenus en équilibre dynamique en vertu d’un processus intentionnel de gestion”.
Les entreprises qui survivront et se démarqueront dans une économie chaotique sont celles qui sont agiles et qui modifient continuellement leur stratégie. Pour cela, il faut réagir à l’évolution de l’environnement et en prendre le contrôle. En anticipant et en réfléchissant à ce qui pourrait arriver et en préparant des réponses stratégiques, les entreprises peuvent créer une certaine certitude pour elles-mêmes et donc avoir un avantage important vis-à-vis des concurrents non agiles. Bien sûr, comme nous l’avons dit, il est souvent impossible de prédire quand les événements perturbateurs se matérialiseront et, par conséquent, il est encore plus difficile de les planifier. Mais il faut au moins être conscient de leur impact dévastateur potentiel. Il faut les prendre en compte, non pas comme des prédictions, mais comme des pistes de réflexion. Dans certains cas, de nouveaux outils comme le big data et l’intelligence artificielle peuvent donner un coup de pouce pour gérer le chaos et l’ordre. L’économie chaotique ne doit donc pas être considérée comme une menace. Au contraire, elle élargit le spectre des actions possibles et, en stimulant la créativité et l’innovation, peut même ouvrir la voie à un avenir fructueux… du moins pour les entreprises agiles.
Johan Van Gompel
Senior Economist, KBC Group