Fin des taux négatifs, et fin du « foward guidance », la BCE a bouleversé des habitudes bien ancrées et est rentrée dans le moule des hausses de taux de 0.50% minimum.
Fini l’époque où les Banques centrales préparaient les marchés
Fin des taux négatifs, et fin du « foward guidance », la BCE a bouleversé des habitudes bien ancrées et est rentrée dans le moule des hausses de taux de 0.50% minimum.
Retour sur les décisions
Le taux des dépôts qui était de -0.50% est donc revenu à 0% après l’annonce de la BCE, ce qui est, comme je le soulignais hier, une première depuis juin 2014.
C’est quand même une surprise car lors de la précédente réunion Christine Lagarde avait annoncé une hausse de 0.25% en juillet et puis une nouvelle hausse en septembre. Elle a beau avoir essayé, lors de la conférence de presse, d’expliquer que cette hausse de 0.50% était conforme à leur scénario et qu’il fallait voir cette dernière après la décision de septembre, elle n’a pas convaincu grand monde.
En tout cas on peut tirer deux leçons de cette décision, la porte est clairement ouverte pour que les prochaines hausses de taux soient aussi de 0.50%. Et le « forward guidance » a vécu, car le communiqué de la BCE indique bien qu’elle évaluera la situation réunion par réunion ne voulant pas se laisser enfermer dans des annonces qu’il faut après renier.
Pour justifier ces changements, et c’est là aussi une volte-face, Christine Lagarde a reconnu que « la pression sur les prix s’étend à de plus en plus de secteurs ». Et « nous nous attendons à ce que l’inflation reste trop élevée pendant un certain temps ».
Elle va maintenant devoir convaincre que le nouvel outil, le TPI (Instrument de protection de la transmission) sera efficace et surtout crédible. Le communiqué de la BCE souligne que « l’ampleur des achats dans le cadre du TPI dépend de la gravité des risques auxquels est confrontée la transmission de la politique monétaire ». Et « Le TPI veillera à ce que l’orientation de la politique monétaire soit transmise de manière fluide dans tous les pays de la zone euro ».
Concrètement, la BCE pourra acheter des obligations sur le marché secondaire du ou des pays où la transmission de la politique monétaire pose problème et ces achats ne seront pas limités ex ante.
Mais pour ce faire, le pays en question devra respecter des critères bien définis et le programme pourrait s’arrêter s’il apparait qu’un de ces critères n’est plus respecté.
Ces critères sont (et je reprend le texte de la BCE) : (1) la conformité avec le cadre budgétaire de l’UE : ne pas faire l’objet d’une procédure de déficit excessif (PDE) ou ne pas être considéré comme n’ayant pas engagé d’action suivie d’effets en réponse à une recommandation du Conseil de l’UE; (2) l’absence de déséquilibres macroéconomiques graves; (3) la soutenabilité budgétaire : pour s’assurer que la trajectoire de la dette publique est soutenable, le Conseil des gouverneurs prend en compte, lorsqu’elles sont disponibles, les analyses de viabilité de la dette effectuées par la Commission européenne, le Mécanisme européen de stabilité, le Fonds monétaire international et d’autres institutions, ainsi que l’analyse interne de la BCE ; (4) politiques macroéconomiques saines et soutenables : respect des engagements présentés dans les plans de redressement et de résilience pour le mécanisme de redressement et de résilience et des recommandations par pays de la Commission européenne dans le domaine budgétaire dans le cadre du Semestre européen.
Et cet instrument pourrait être activé rapidement vu la démission de Mario Draghi et sera donc vite sous l’épreuve du feu, même si pour le moment le spread de l’Italie reste contenu.
Si l’euro s’est renforcé après l’annonce jusqu’à 1.0270 par rapport au dollar, il est vite revenu à son niveau d’avant, tout comme les taux d’intérêt qui ont évolué à la hausse avant de revenir à leur niveau d’avant l’annonce.
Il faut dire que les incertitudes ne sont évidemment pas levées après cette décision de la BCE, même si les livraisons de gaz ont repris mais à un niveau aussi faible que précédemment. Résultat, le prix du gaz ne recule pas et c’est d’ailleurs un point d’inquiétude pour la BCE.
La guerre en Ukraine en est à son cinquième mois et n’est pas prête de s’arrêter si l’on doit se fier aux propos du ministre des Affaires étrangères russe qui a indiqué que la Russie allait aller au-delà du Donbass. Et dernier point les signes de ralentissement se multiplient.
Signes de ralentissement
Et je peux en pointer deux. D’abord le recul des indices PMI. C’est le cas ce matin avec ceux publiés au Japon. L’indice PMI manufacturier est passé de 52.7 à 52.2, mais surtout celui des services est tombé à 51.2 contre 54. Et cela sera également le cas de ces indices qui seront publiés aujourd’hui en zone euro, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
Et ensuite, un nouvel indicateur sur l’état du marché immobilier aux Etats-Unis, à savoir celui des ventes de maisons existantes. Ces dernières ont chuté de 5.4% pour atteindre un taux de 5,12 millions d’unités le mois dernier, soit le niveau le plus bas depuis juin 2020. Ce qui représente une chute de 14.2% sur un an.
Et il faut accepter que la situation va encore se dégrader et j’aimerais que nos gouvernements aient le courage de se remettre en question et arrêtent de nous jeter de la poudre aux yeux. Et je ne peux que saluer le texte publié par le chancelier Scholz dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Et je reprends ici quelques passages.
« L’état de notre Bundeswehr et les structures de notre défense civile, ainsi que notre dépendance excessive vis-à-vis de l’énergie russe, démontrent que nous nous prélassons dans une fausse sécurité depuis la fin de la guerre froide. Le gouvernement, les entreprises et de larges pans de notre société n’étaient que trop heureux de tirer des conclusions de large portée du dicton d’un ancien ministre allemand de la Défense, lequel déclarait que l’Allemagne n’était entourée que d’amis. C’était une illusion. »
« Si Poutine coupe l’approvisionnement en gaz, il utilise l’énergie comme une arme, y compris contre nous. Même l’Union soviétique ne l’a pas fait pendant la guerre froide. Si nous ne controns pas l’agression de Poutine maintenant, il pourrait aller plus loin. Nous l’avons déjà vu : il est entré en Géorgie en 2008, a annexé la Crimée en 2014, puis a attaqué l’est de l’Ukraine et enfin, en février de cette année, il a prolongé la guerre contre tout le pays. Laisser Poutine s’en tirer signifierait que la violence peut enfreindre la loi pratiquement sans aucune conséquence. En fin de compte, notre liberté et notre sécurité seraient également menacées. »
Concernant l’UE, et je reprends le texte « à mon avis, cela signifie qu’il doit être mis fin aux États membres individuels qui bloquent égoïstement les décisions européennes. Et la fin des nations qui font cavalier seul et qui nuisent ainsi à l’Europe dans son ensemble. Nous ne pouvons tout simplement plus nous permettre de veto nationaux – en matière de politique étrangère, par exemple – si nous voulons que notre voix soit toujours entendue dans un monde de grandes puissances concurrentes. »
Le chancelier tient des propos durs et lourds de sens mais au moins il ne considère pas son peuple incapable de mesurer les défis qui l’attend. Et ces propos sont encore plus forts quand on voit que la Hongrie va pleurnicher chez Poutine pour avoir plus de gaz et se désolidarise du reste de l’UE.