Le marché du travail belge connaît une période de ralentissement, mais pas de détérioration spectaculaire

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Selon les nouveaux chiffres d’Eurostat, le taux de chômage harmonisé belge a fortement augmenté depuis l’été 2024. En avril 2025, il a même dépassé le taux de la zone euro pour la première fois depuis près de 20 ans.

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Selon les nouveaux chiffres d’Eurostat, le taux de chômage harmonisé belge a fortement augmenté depuis l’été 2024. En avril 2025, il a même dépassé le taux de la zone euro pour la première fois depuis près de 20 ans. À première vue, cette évolution semble indiquer que la situation du marché du travail, qui avait bien résisté aux crises précédentes, se détériore sérieusement. Cependant, elle contraste avec d’autres indicateurs récents du marché du travail qui, dans l’ensemble, restent bons. Par exemple, la création nette d’emplois s’est quelque peu accélérée au cours des derniers trimestres. Ce contraste s’explique par le fait que, outre le taux de chômage, les taux d’activité et d’emploi se sont également redressés en Belgique au cours des derniers trimestres. Le taux d’activité a augmenté davantage que le taux d’emploi, ce qui a alimenté la hausse du taux de chômage. L’augmentation de la participation au marché du travail est une bonne chose en soi et constitue un objectif de politique publique. Mais pour cela, il faut créer suffisamment d’emplois et, compte tenu du taux d’inoccupation toujours élevé, réduire l’inadéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre.

1. Introduction

La rédaction de ce rapport de recherche est motivée par la récente mise à jour des chiffres d’Eurostat sur le taux de chômage harmonisé. Ceux-ci ont montré que, en partie en raison d’une révision à la hausse des chiffres mensuels précédents, le taux belge a considérablement augmenté depuis l’été 2024. Après avoir enregistré environ 5,5 % pendant un certain temps, le taux de chômage a atteint 6,4 % en avril 2025 (dernier chiffre disponible). Le taux belge était ainsi supérieur à celui de la zone euro et de l’UE27 pour la première fois depuis près de 20 ans (voir figure 1). Par rapport à l’année précédente, la hausse du taux de chômage dans l’UE27 n’a été plus importante qu’au Danemark (voir figure 2).

La hausse du taux de chômage harmonisé suggère que la situation du marché du travail belge, qui avait globalement bien résisté à la dernière pandémie et à la crise énergétique, se détériore à présent. Dans ce rapport, nous apportons plus de clarté sur l’augmentation observée et examinons également d’autres indicateurs du marché du travail, y compris des mesures alternatives du chômage et des données concrètes et d’enquête sur les tendances (récentes et attendues) de l’emploi.

2. Les indicateurs du marché du travail d’Eurostat

Le taux de chômage d’Eurostat est basé sur l’enquête sur les forces de travail (EFT). Il se réfère aux personnes qui répondent à la définition du chômage de l’OIT, à savoir toutes celles qui ne travaillent pas, qui sont immédiatement disponibles pour un emploi et qui le recherchent activement. Un chômeur doit remplir les trois conditions simultanément, sinon il fait partie des actifs occupés ou des inactifs. Les chiffres d’Eurostat présentent l’avantage de permettre des comparaisons entre pays et d’être corrigés des variations saisonnières. La série étant basée sur une enquête, il ne s’agit pas d’une mesure “exacte”. En outre, des problèmes se posent dans la mise en œuvre pratique de chacune des conditions de l’OIT. Par exemple, on peut discuter de ce qui est considéré comme “travailler”, de la période qui correspond à “immédiatement” et de la signification exacte de “recherche active”. En outre, les données publiées précédemment font l’objet de révisions régulières. Tout cela signifie que la mesure doit être interprétée avec prudence et complétée par d’autres indicateurs du marché du travail.

Outre les chiffres relatifs au taux de chômage harmonisé (disponibles sur une base mensuelle), Eurostat publie également des données trimestrielles sur le taux d’activité et le taux d’emploi, également basées sur l’enquête sur les forces de travail. Le premier indicateur concerne la population active (souvent aussi appelée force de travail) en pourcentage de la population âgée de 15 à 74 ans. Le second concerne la population employée en pourcentage de la population âgée de 15 à 74 ans. La figure 3 présente les deux indicateurs ainsi que le taux de chômage (chômeurs en pourcentage de la population active, cette fois sous la forme d’une série trimestrielle). Il est à noter que, outre le taux de chômage, les taux d’activité et d’emploi ont récemment augmenté de manière substantielle. Entre le premier trimestre 2024 et le premier trimestre 2025, la hausse du taux d’activité (+1,2 point de pourcentage) a été plus forte que celle du taux d’emploi (+0,8 point de pourcentage), ce qui a alimenté la hausse du taux de chômage (+0,5 point de pourcentage). Exprimée en chiffres absolus, la population âgée de 15 à 74 ans a augmenté de 46.000 personnes au cours de la période. Cette évolution s’est accompagnée d’une diminution de 78 000 personnes de la population inactive et d’une augmentation de 124 000 personnes de la population active. 91 000 personnes supplémentaires sont entrées sur le marché du travail et 33 000 ont été mises au chômage. 

3. Taux de chômage administratif

Outre les chiffres d’Eurostat basés sur des enquêtes, il existe également des chiffres relatifs au taux de chômage résultant d’un comptage administratif du nombre de chômeurs. L’ONEM/RVA (Office national de l’emploi) calcule le taux de chômage comme le rapport entre le nombre de bénéficiaires d’allocations de chômage (les “bénéficiaires d’allocations en situation de chômage complet”, en néerlandais : “uitkeringsgerechtigde volledig werklozen”, UVW) et le nombre de personnes assurées contre le chômage. Il s’agit d’une mesure étroite, car elle n’inclut que les chômeurs indemnisés. Il existe également un taux de chômage qui rapporte les inscriptions auprès des services régionaux de l’emploi (VDAB, Forem et Actiris) à la population active. Il s’agit essentiellement de ce que l’on appelle les “demandeurs d’emploi non actifs” (en néerlandais : “niet-werkende werkzoekenden”, NWWZ), qui comprennent un certain nombre de catégories supplémentaires de demandeurs d’emploi (par exemple, les demandeurs d’emploi librement inscrits, les demandeurs d’emploi aux frais des CPAS (Centres publics d’aide sociale), les demandeurs d’emploi exclus des allocations, etc.

Dans la pratique, le taux de chômage basé sur les recensements administratifs diffère souvent de manière significative de celui calculé selon la définition d’Eurostat, tant en termes de niveau que de tendance. Cela est principalement dû à des différences de définition, mais aussi au fait que le premier n’est pas corrigé des variations saisonnières alors que le second l’est. La figure 4 montre le taux de chômage basé sur la définition de l’ONEM et de la RVA. Il est frappant de constater que la forte hausse récente qui était visible dans les chiffres d’Eurostat n’apparaît pas ici, ni pour la Belgique dans son ensemble, ni pour les trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles). 

La figure 5 montre le taux de chômage administratif publié par les services régionaux de l’emploi (non disponible pour l’ensemble de la Belgique). Une fois de plus, aucune augmentation significative n’est perceptible au cours de l’année écoulée. Seule la Wallonie a connu une augmentation globale du taux. Entre mai 2024 et mai 2025, selon cette définition (plus large), le taux a augmenté de 0,9 %, alors qu’il s’est stabilisé en Flandre (+0,0 %) et à Bruxelles (+0,1 %). Une image relative similaire se dégage de la dynamique du nombre absolu de demandeurs d’emploi sans activité (NWWZ).

La figure 6 montre l’évolution de ce groupe d’une année sur l’autre, en éliminant les influences saisonnières. En Wallonie, ce nombre était en mai 2025 supérieur de 9,9% à celui de l’année précédente, tandis qu’en Flandre et en Wallonie, il n’était que de 1,2% et 0,7% respectivement. Le fait que le taux de chômage en Wallonie n’ait pas augmenté selon les demandeurs d’emploi indemnisés (UVW, figure 4) semble indiquer que l’augmentation concerne principalement les catégories supplémentaires de chômeurs.

L’évolution de la situation du chômage est également illustrée par les chiffres relatifs au nombre de travailleurs concernés par l’annonce d’une intention de licenciement collectif. Il y en a eu 12 354 en 2024, ce qui est nettement plus que les années précédentes et supérieur à la moyenne à long terme (quelque 8 500 entre 2010 et 2024). Il convient toutefois de relativiser ce chiffre, car il s’agit de quelques grandes entreprises (dont Van Hool à Lier et Audi à Forest Brussels). En nombre d’entreprises touchées, le chiffre de 2024 (103) n’est pas beaucoup plus élevé que la moyenne à long terme (97 sur la période 2010-2024). En outre, au cours du premier trimestre 2025, la situation des travailleurs concernés semblait déjà ne pas se détériorer davantage (voir figure 7). En effet, ” seuls ” 1 656 travailleurs ont été affectés par l’annonce d’un licenciement collectif. Cela représente environ la moitié de la moyenne des quatre trimestres de 2024 et également la moitié de la moyenne des premiers trimestres de la période 2010-2024.

4. Dynamique de l’emploi

Le chômage n’est qu’une mesure, certes importante, du marché du travail. Pour obtenir une vue d’ensemble de la situation actuelle du marché du travail, nous devons également examiner les tendances de l’emploi. Les données de l’enquête sur les forces de travail susmentionnées (qui examinent la situation du point de vue des citoyens) indiquaient déjà qu’un certain nombre de personnes supplémentaires ont commencé à travailler l’année dernière, ce qui a entraîné une hausse du taux d’emploi. Du point de vue des entreprises, il est également notable que la dynamique de la création nette d’emplois s’est accélérée au cours des derniers trimestres, après un ralentissement antérieur (voir figure 8, données des comptes nationaux). Les services ont à nouveau créé plus d’emplois au premier trimestre 2025, la construction a cessé de perdre des emplois et l’industrie manufacturière en a perdu moins.

Le taux de vacance est un autre indicateur de l’offre de main-d’œuvre. Il indique le nombre de postes vacants non pourvus par rapport au nombre total d’emplois disponibles (c’est-à-dire la somme des emplois pourvus et des postes vacants non pourvus). La figure 9 montre que le taux d’inoccupation, bien qu’il ait dépassé son pic, est encore bien supérieur au niveau prépandémique malgré le déclin. Au premier trimestre 2025, le taux d’emploi vacant en Belgique était encore de 4,1 %, soit le deuxième taux le plus élevé de l’UE27 après les Pays-Bas. En chiffres absolus, il s’agissait d’environ 170.000 postes vacants, soit 15.000 de moins qu’au cours de la même période de l’année précédente. Le taux d’inoccupation structurellement élevé est en partie dû aux tendances démographiques. La population en âge de travailler augmente moins fortement, ce qui rend la recherche de travailleurs plus difficile pour les entreprises.

5. Attentes du marché du travail

Outre l’enquête EFT qui mesure la situation actuelle des citoyens (actifs occupés, chômeurs, inactifs), nous disposons également d’enquêtes qui fournissent des informations sur l’évolution attendue du marché du travail. Les enquêtes de la BNB sur la confiance des consommateurs et des producteurs contiennent une sous-composante qui évalue les perspectives de chômage des consommateurs (pour les 12 prochains mois) et les perspectives d’emploi des entreprises (pour les 6 prochains mois), respectivement. La figure 10 montre que les perspectives de chômage des consommateurs se sont dégradées au cours de l’année 2024, mais qu’elles sont revenues à des niveaux légèrement plus optimistes au cours des derniers mois. Du côté des entreprises, les perspectives d’emploi se sont dégradées dans le secteur des services aux entreprises, bien que cette série de données ait récemment connu une nouvelle amélioration. Dans les autres secteurs, les perspectives étaient relativement moins favorables depuis un certain temps, mais elles sont restées assez stables dans l’ensemble, indépendamment des fluctuations à court terme.

Plus généralement, tous les prévisionnistes économiques (CE, FMI, OCDE, BNB, Bureau fédéral du Plan,…) tablent également sur une augmentation tout au plus limitée du taux de chômage belge en 2025, suivie d’une nouvelle baisse en 2026 et/ou 2027. La croissance de l’emploi resterait également positive, bien que limitée en 2025, mais également suivie d’un renforcement par la suite. KBC Economics estime également que le taux de chômage harmonisé pourrait encore augmenter de manière limitée, passant de 6,4 % en avril à 6,6 % à la fin de 2025, mais qu’il diminuera ensuite quelque peu, en partie en raison de la pression démographique sur la population en âge de travailler. 

Encadré – Impact de la réduction de la durée des allocations de chômage sur le taux de chômage

Les chiffres du taux de chômage pourraient également être influencés, à partir de début 2026, par la réduction de la durée des allocations de chômage à deux ans. De nombreux chômeurs disparaîtront alors des chiffres officiels du chômage. L’ampleur de l’impact sur le taux de chômage n’est pas claire a priori et dépend principalement de sa définition. Le taux de chômage administratif basé sur les bénéficiaires d’allocations de chômage (UVW), tel que calculé par la RVA/NEO, diminuera au fur et à mesure que les personnes concernées trouveront du travail. Toutefois, si elles restent inactives, le nombre de demandeurs d’allocations de chômage (numérateur) ainsi que le nombre d’assurés contre le chômage (dénominateur) diminuent. Dans ce cas, le taux de chômage RVA/NEO diminue moins.

Certains de ceux qui perdent leurs allocations de chômage seront obligés de compter sur un salaire de subsistance. Au moins une partie d’entre elles resteront à la recherche d’un emploi, ce qui réduira l’UVW mais pas la NWWZ. Ils deviendront demandeurs d’emploi au détriment du CPAS et resteront dans la population active. Cela signifie qu’en principe, ils ne réduiront pas le taux de chômage tel qu’il est calculé par les services régionaux de l’emploi. Ce n’est le cas que pour la partie qui réclame un revenu d’intégration mais qui (pour diverses raisons) n’est plus disponible pour le marché du travail. Ce groupe tombe dans l’inactivité et sort alors à la fois du numérateur et du dénominateur du taux de chômage calculé par les services régionaux de l’emploi.

Le taux de chômage d’Eurostat, qui est basé sur l’enquête sur les forces de travail, pourrait être moins affecté par la réforme des allocations de chômage. Dans la mesure où les personnes qui perdront leurs allocations ont également indiqué plus tôt dans l’enquête qu’elles ne recherchaient pas (ou plus) activement un emploi (au cours des quatre semaines précédant l’enquête selon la définition du BIT), rien ne change : elles ne faisaient déjà pas partie de la population active et des chômeurs d’Eurostat et n’en sortiront donc pas. S’ils ont précédemment indiqué qu’ils recherchaient activement un emploi, l’effet sur le taux de chômage d’Eurostat dépendra de leur nouvelle situation (ils ont trouvé un emploi, ils sont toujours à la recherche d’un emploi, ils ont fini par être inactifs).

Dans l’ensemble, nous pouvons dire que le marché du travail belge connaît une période plus faible, mais pas de détérioration dramatique, ce qui correspond à la croissance modérée du PIB (attendue à 0,8 % par an en 2025 et 2026). Cette dernière est liée à l’augmentation du commerce international et à l’incertitude géopolitique. Outre la capacité à créer des emplois supplémentaires, la mesure dans laquelle le taux de chômage augmente encore dans un tel scénario économique dépend également de facteurs comportementaux et de mesures politiques (voir également l’encadré ci-dessus). Si l’augmentation de la participation au marché du travail se poursuit à un rythme encore plus élevé (ce qui est une bonne chose en soi), il faudra créer suffisamment d’emplois supplémentaires et, ce qui est au moins aussi important, réduire l’inadéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre qui subsiste.

Johan Van Gompel

Senior Economist, KBC Group

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